Qui sont les Amapistes?
03.30
Le profil socio-démographique des amapistes[1] présente une grande diversité. Aucune enquête n’est véritablement à l’heure actuelle en mesure de repérer des caractéristiques recueillies, et vérifiées à l’échelle nationale. C’est sur la base d’un certain nombre de constats, et d’échanges à l’occasion de rencontres entre adhérents de Midi-Pyrénées depuis 2004, et d’informations issus des réseaux locaux des AMAP, que l’on peut dresser une liste de caractéristiques qui seraient partagées par un nombre non négligeable d’amapistes.
L’amapiste se caractérise par son niveau d’études et de qualification plutôt élevé (Bac +), il est plutôt urbain, en ménage avec un ou deux enfants, et a entre 30 et 40 ans. La question des catégories socioprofessionnelles auxquelles il appartient constitue un point de controverse au sein même des réseaux des AMAP. La thèse des AMAP comme « repères de bobos » se donnant bonne conscience au travers un système de solidarité, ne semble pas résister à l’observation d’un certain nombre de groupes. En effet, si le niveau de qualification des adhérents semble assez élevé, celui de leurs revenus les situerait plutôt dans des couches moyennes.
Les motivations pour « entrer en AMAP » sont mieux cernées, car elles sont plus explicitement énoncées et partagées par les amapistes eux-mêmes. On repère quatre grands types de motivation pour intégrer une AMAP :
- Une démarche militante : qu’elle soit écologique, sociale ou politique. Celle-ci peut être reliée à des engagements plus anciens (n’oublions pas que le mouvement a été impulsé par des membres du groupe d’ATTAC à Aubagne). Mais parfois c’est l’engagement dans l’AMAP qui constitue l’entrée en militance pour des personnes qui jusqu’alors n’avaient pas encore trouvé le mode d’expression ou l’implication citoyenne qui leur convenaient.
- La recherche d’une consommation locale : le contact direct avec le paysan qui produit leur alimentation semble une donnée importante
- Une alimentation à base de produits biologiques pour une meilleure santé. Si un nombre non négligeable d’adhérents ne consommait pas de produits issus de l’agriculture biologique avant leur adhésion à ce système, cette motivation est cependant exprimée fréquemment par les amapistes.
- Le fruit de circonstances : Enfin, un certain nombre de personnes ont adhéré à une AMAP par ce qu’ils ont été mis en contact de façon fortuite avec le système : conversation entre collègues, récupération occasionnelle d’un panier pour un ami, information via les médias, visibilité des distributions. Ils n’avaient à priori aucune motivation particulière à s’engager dans un tel collectif, mais se sont trouvés séduits par les principes mis en œuvre.
L’amapiste, un mutant ?
La question posée de façon un tantinet provocatrice, tente de repérer si l’adhésion à une AMAP peut générer du changement dans le comportement des personnes. Il est évident que ces effets de changement ne sont ni systématiques, ni tous vécus par l’ensemble des adhérents. On peut cependant faire un inventaire des possibles, issu des expériences cumulées.
Ces différents niveaux de changement, ne sont souvent pas perçus au moment de l’adhésion. Ils sont dans la plupart des cas non intentionnels, issus des contraintes générées par le système lui-même. Ils se vivent de façon positive ou non, et certains peuvent constituer un motif de sortie du système.
- L’amapiste modifie sa manière de préparer ses repas : il les compose sur la base des produits disponibles, et non plus sur une prévision préalable de menus, ou d’envie de manger tel ou tel plat, et des actes d’achat induis.
- L’amapiste cuisine : l’achat de produits bruts contraint l’adhérent à opérer par lui-même la transformation des aliments.Il devient aussi plus créatif en matière de recettes, face à la nécessité de renouvellement des préparations, en lien avec la récurrence des mêmes produits de saison qu’il retrouve dans son panier hebdomadaire, pendant parfois de longues semaines consécutives (poireaux, blettes pendant l’hiver).
- L’amapiste s’ouvre : Il élargit sa connaissance de légumes, fruits et autres produits qu’il n’avait jamais goûté auparavant. Il trouve ou retrouve le plaisir de manger les légumes à leur saison de production.
- L’amapiste s’équipe : en matériel de conservation, de cuisine, en livre de recettes.
- L’amapiste augmente sa consommation de légumes : ils sont immédiatement disponibles, frais, odorants, sains, goûteux, cultivés avec soin, déjà payés….Autant de raison de les consommer en priorité.
- L’amapiste réduit la fréquence de ses approvisionnements en produits alimentaires : il consomme en priorité ce qu’il a déjà en stock, et se rend donc moins fréquemment dans certains points de vente.
- L’amapiste achète par ailleurs plus de produits issus de l’agriculture biologique, et/ou du commerce équitable .Il en comprend mieux l’intérêt.
- L’amapiste urbain découvre tout un monde : celui de la ruralité, celui des paysans, de l’agriculture, ses pratiques, ses enjeux, ses difficultés et ses attraits.
- L’amapiste réfléchit : il transpose à d’autres actes d’achat, des attitudes qu’il pratique déjà au sein de l’AMAP : sensibilité aux emballages, provenance des produits, composition, prise en compte du coût du déplacement dans un acte d’achat.
Si rares sont ceux qui ont vécu toutes ces modifications dans leur comportement, il existe peu d’amapistes qui déclarent n’avoir été affectés par aucun de ces changements. La trajectoire individuelle antérieure à l’adhésion à l’AMAP, et la capacité à vivre et/ ou opérer ces changements dans leur manière de faire, semblent constituer des éléments de compréhension de la perméabilité ou de la résistance à ces éventuelles transformations.
Des citoyens engagés
Le principe des AMAP à la fois simple, pour ne pas dire simplissime, a su séduire en lui-même par les impacts nombreux, puissants et rapides qu’il permet. A partir d’une action banale, concrète, quasi quotidienne, à savoir acheter des produits alimentaires, l’amapiste se retrouve en adhérant à ce système, dans la situation d’agir directement sur un certain nombre de domaines particulièrement sensibles et souvent complexes : la solidarité, l’emploi, la santé, la préservation de l’environnement, l’engagement, la vie sociale, la consommation, la maîtrise du vivant. Il a là, à sa portée, un moyen très accessible de contribuer même de façon modeste, à l’évolution de son environnement. Ceci constitue une plus-value du système non négligeable, dans une ambiance générale de désenchantement et de prise de distance avec les formes d’inscription collective traditionnelles : partis politiques, syndicats, etc.…
Enfin, pour certains, cette expérience permet également d’adopter ou d’affirmer une posture citoyenne plus large, qui veut se porter en faux contre l’idée inéluctable de la suprématie des systèmes économico politiques, fondés essentiellement sur la rentabilité, le profit. Plus d’un siècle de « développement », de recherche de la croissance économique, de course effrénée aiguillonnée par les avancées techniques et scientifiques, de tentative de rationalisation de l’économie et de l’emploi, d’industrialisation massive et d’exploitation intensive de la nature n’ont pas permis d’atteindre les résultats escomptés. L’avenir meilleur promis fait toujours défaut. En revanche, les inégalités économiques entre régions du monde se sont considérablement aggravées. Les rapports sociaux dans les pays économiquement riches se sont détériorés. Le consumérisme omniprésent a provoqué la disparition de Cultures. Les atteintes à l’environnement s’accélèrent et s’intensifient.
Par cette adhésion à une AMAP, l’enjeu résiderait alors tout autant, dans un engagement dans une expérience novatrice dans son objet, ses formes, que dans la manifestation d’autres possibles qu’elle incarne.
L’ALIMENTATION : un sujet sensible
Le citoyen-mangeur peut donc se présenter comme un acteur particulièrement actif et investi dans la recherche et l’expérimentation de nouvelles formes de coopération à l’intérieur même de la sphère de la consommation. Cet engagement assez singulier est sans doute à mettre en lien avec le domaine de consommation qu’il concerne : l’alimentation. La fonction alimentaire a par nature toujours occupée une place essentielle dans la vie des hommes et des sociétés. Les flux des matières étant globalisés sous la terminologie d’économie, il est important de noter que jusqu’à une période récente au vue de l’histoire de l’humanité, l’économie a reposée essentiellement sur l’échange des produits issus de la nature.
Par ailleurs, de même que se déplacer ou se loger, se nourrir fait partie des actes quotidiens d’un être humain, tous les jours, une multitude d’acteurs cultivent, produisent, conditionnent, transportent, distribuent, préparent, consomment des produits alimentaires. L’alimentation a donc toujours occupé une place particulière dans l’histoire économique des sociétés occidentales. Aujourd’hui où elle endosse le statut de bien de consommation, on peut valablement se poser la question du rôle sociétal qu’elle peut peut-être encore jouer, des liens qu’elle peut contribuer à préserver, ne serait-ce que par la position vitale qu’elle occupe par essence et par nature.
Si le consommateur abandonne sans trop d’état d’âme aux structures du marché, la main mise sur les conditions de fabrication et de circulation d’un certain nombre de biens et de services auxquels il semble moins attaché, on peut émettre l’hypothèse que parmi les motivations à s’investir dans de nouvelles formes de partenariat avec des producteurs, la nature même, et l’importance du type de biens échangés soient déterminantes.
Car il s’agit bien de ce qui, « mine de rien », participe à notre survie physique, à notre maintien en bonne santé, exprime des éléments de culture, permet des échanges non marchands et fait vivre cette convivialité auxquels ces aliments participent largement…
Sylvie LESAGE.
[1] Le terme « d’amapien » semble plus communément utilisé dans la littérature sur le phénomène. Celui « d’amapiste », d’usage plus confidentiel, constitue une résonance sémantique au terme de « zapatistes », (rebelles résistant de la région des Chiapas au Mexique) et est revendiqué par un certain nombre d’adhérent des AMAP pour lesquels l’engagement dans ce type de collectif constitue un acte résolument politique.